La Macronie mise à nu.

Les affaires Delevoye, Pietraszewski et Pénicaud révèlent, selon Mathieu Slama, l’essence du marconisme, une étape inédite dans le mélange des genres entre business et politique.

Il faut finalement remercier cette réforme des retraites qui, si l’on parvient à passer outre ses (futurs) effets désastreux, a eu une conséquence à laquelle ne s’attendaient sans doute pas Emmanuel Macron, Edouard Philippe et leurs ministres. Plusieurs épisodes, qui se sont succédés cette semaine, ont contribué à montrer le vrai visage du macronisme – et à mettre un terme aux faux semblants et autres malentendus qui pouvaient persister après le début de la crise des « Gilets jaunes ».

Crise en trois épisodes

Le premier épisode a évidemment été la démission (attendue…) lundi de Jean-Paul Delevoye, dont on a appris successivement les liens incestueux avec le monde de l’assurance (qui suit de très près la réforme des retraites… dont il avait la charge) et les rémunérations exorbitantes (pour ne pas faire grand-chose, et qu’il avait visiblement oubliées) pour le compte d’un obscur think tank de formation.

Le second épisode concerne son successeur, Laurent Pietraszewski, désigné juste après la démission de Delevoye, et dont on a appris qu’il avait été, avant d’être élu député En Marche en 2017, responsable RH au sein du groupe Auchan. La grande distribution est connue pour adopter les méthodes les plus brutales en matière de management et de ressources humaines, et il semblerait, à en croire le délégué syndical CFDT du groupe Auchan, que Pietraszewski se soit distingué en la matière. Ainsi aurait-il été à l’origine de la mise en pied d’une salariée lorsqu’il était directeur RH du magasin Auchan de Béthune (Pas-de-Calais), au motif que celle-ci aurait donné un pain, d’une valeur de 80 centimes, à une cliente… Une décision qui en dit long sur son sens du dialogue social, mais aussi sur sa vision de la hiérarchie et du monde du travail. Le même Pietraszewski était, précisons-le, rapporteur à l’Assemblée nationale de la loi Travail. Heureux (ou malheureux) hasard : celle qui pilotait cette réforme brutale du droit du travail était Muriel Pénicaud, ministre du Travail et, comme Pietraszewski, ancienne DRH (du groupe Danone).

Le macronisme, ce n’est plus seulement des liaisons dangereuses entre le monde politique et le monde des affaires, mais le monde des affaires lui-même qui accède au pouvoir.

Le troisième épisode, qui vient d’être révélé par le journal Le Monde, concerne justement Muriel Pénicaud qui aurait été nommée, en novembre dernier, au conseil d’administration du Forum de Davos, cette grande messe annuelle du capitalisme où se retrouvent grands patrons et décideurs internationaux. Le lieu symbole de tous les conflits d’intérêts, des réseaux d’influence et du fossé qui sépare le peuple et les élites. La Haute Autorité pour la transparence de la vie publique(HATVP) aurait, toujours selon Le Monde, demandé à la ministre du Travail de renoncer à ce mandat bénévole.

L’essence de la macronie

Ces trois affaires résument à elles-seules l’essence même du macronisme, qui franchit une étape inédite dans le mélange des genres entre business et politique. Le macronisme, ce n’est plus seulement des liaisons dangereuses entre le monde politique et le monde des affaires, mais le monde des affaires lui-même qui accède au pouvoir. Au sein du gouvernement, Edouard Philippe (Areva), Muriel Pénicaud (Danone), LaurentPietrascewski (Auchan), Elisabeth Borne (RATP), Emmanuel Macron lui-même (Rothschild), Brune Poirson (Veolia) : on retrouve aux commandes de l’État des anciens cadres dirigeants de multinationales et de grands groupes, pour certains millionnaires. Beaucoup de leurs conseillers viennent également de ce monde de l’entreprise : le directeur de cabinet de Muriel Pénicaud, pour ne donner qu’un exemple, est un ancien du MEDEF. Et n’oublions pas les parlementaires de la majorité, dont beaucoup viennent également du monde de l’entreprise, à commencer par l’inénarrable député Gilles Le Gendre, qui s’était distingué pendant la crise des « Gilets jaunes » par sa défense de la ligne du gouvernement, qu’il jugeait trop « intelligent » et « subtil »(sic).

La bourgeoisie managériale qui gouverne avec Macron n’a absolument aucune idée de ce que compter pour vivre signifie

Le régime Macron est un régime de managers. Chaque sujet politique est un problème à résoudre, de la même manière qu’un manager cherche à résoudre
les problèmes de « ressources humaines » qui se posent à lui. Des managers qui nous parlent en permanence de « pédagogie » et de « réformes nécessaires », de « dialogue » et d’ »écoute », et qui dépolitisent chaque sujet au nom de la sacro-sainte compétitivité et croissance. « There is no alternative » : si vous êtes contre, c’est que vous n’avez pas compris ! Alors que le sens même de la politique est le débat et la confrontation entre des visions du monde contradictoires.

Beaucoup de commentateurs s’étonnent de la surdité du gouvernement à la colère sociale. Nous formulerons l’hypothèse suivante : la bourgeoisie
managériale qui gouverne avec Macron n’a absolument aucune idée de ce que compter pour vivre signifie. Leur monde est tellement éloigné de celui des « Gilets jaunes » et des Français en colère aujourd’hui qu’ils ne peuvent pas comprendre cet autre monde, ses inquiétudes, ses colères, ses revendications, ses exigences. D’où cette surdité qui se traduit en coups de matraque lors des manifestations et en mépris social dans les discours. La vraie cassure est là.

Remercions donc cette réforme des retraites – et par la même occasion les médias qui ont démontré, en dévoilant ces affaires, leur sens de l’indépendance et de l’intérêt général

C’est cette cassure irrémédiable que cette dernière semaine a mise à nu. Si après la crise des « Gilets jaunes », l’organisation du « grand débat » et l’annonce de l’ »acte II du quinquennat » avaient pu tromper certaines âmes optimistes – et indulgentes -, il ne peut désormais y avoir aucun malentendu sur la ligne de ce gouvernement et sur ses intentions. Nous avons affaire à des patrons managers qui défendent d’abord des intérêts privés : l’affaire est entendue, et la clarification définitive. Remercions donc cette réforme des retraites – et par la même occasion les médias qui ont démontré, en dévoilant ces affaires, leur sens de l’indépendance et de l’intérêt général. Ce n’est pas rien.

Mathieu Slama
Source: Marianne